11
Tous ensemble

 

 

— Parle-moi du poison, dit le prélat Vohltin, un associé de Camerbunne.

Alors qu’il était confortablement installé sur une chaise, au centre de la pièce surchauffée, sa silhouette se détachait sur la lueur de l’immense feu qui brûlait derrière lui.

— Jamais bon…, répondit Morik.

Cela lui valut un autre tour de vis des poucettes de la part du corpulent et sadique geôlier borgne, qui n’avait même pas pris la peine de recouvrir son orbite vide d’un cache.

— Le poison, je veux dire, précisa le voleur, d’une voix serrée par la douleur qui lui vrillait le bras.

— Ce n’est pas le même que celui que contient la fiole, expliqua Vohltin, avant d’adresser un signe de la tête au geôlier, un demi-orque, qui vint se placer dans le dos du prisonnier.

Morik essaya de suivre les mouvements de la créature mais ses bras étaient trop écartés et serrés à hauteur des poignets. Une main serrée par une presse d’un côté, l’autre était coincée dans une étrange boîte conçue de façon à la maintenir ouverte, ce qui permettait au tortionnaire de « jouer » avec les doigts tendus, un à la fois.

Le prélat haussa les épaules, leva les mains et, Morik ne fournissant pas immédiatement une réponse, un fouet s’abattit sur le dos dénudé du voleur, laissant au passage de profonds sillons, rendus plus douloureux encore par sa sueur.

— Tu possédais le poison et ces armes insidieuses mais nous avons trouvé un autre liquide dans ta fiole, rappela Vohltin. J’imagine qu’il s’agit d’une habile ruse destinée à nous indiquer une mauvaise direction, alors que nous tentons de guérir le capitaine Deudermont.

— C’est une ruse, c’est sûr, lâcha Morik, sans émotions.

Le geôlier le frappa de nouveau avec le fouet et leva le bras, prêt à porter un troisième coup, quand Vohltin arrêta la brute d’un geste.

— Tu le reconnais ?

— Bien sûr. C’est une ruse mise en place par quelqu’un d’autre, qui nous a donné, à Wulfgar et à moi, ce que vous considérez comme la preuve de notre culpabilité, avant de tirer sur Deudermont quand nous nous sommes approchés de lui pour lui parler…

— Assez ! cria Vohltin, visiblement agacé.

Les personnes ayant interrogé les prisonniers avaient toutes entendu la même histoire absurde. Secouant la tête, il se leva et fit mine de s’en aller. Morik savait ce que cela impliquait.

— Je peux vous révéler d’autres choses ! cria-t-il.

Le prélat ne répondant que par un geste de renvoi, Morik se remit à parler mais il eut le souffle coupé quand le geôlier le frappa sur le flanc. Il poussa un cri et sursauta, ce qui ne fit qu’accentuer la douleur qui lui ravageait la main et le pouce. Malgré cela et son sang-froid, il sursauta encore quand il reçut un nouveau coup ; le demi-orque lui avait passé une bandelette métallique incrustée de piques autour des doigts.

Morik songea alors aux drows venus lui rendre visite une nuit, bien longtemps auparavant, dans la petite chambre qu’il occupait, non loin du Coutelas. Étaient-ils au courant des événements récents ? Viendraient-ils secourir Wulfgar et, dans ce cas, le libéreraient-ils également ? Il avait été près de parler de ces elfes noirs à Wulfgar, au cours de leurs premières heures de détention, alors qu’ils étaient enchaînés dans la même pièce. Il n’avait hésité que parce que son ami, perdu dans ses douloureux souvenirs, ne l’aurait sans doute même pas entendu, contrairement, peut-être, à d’éventuelles oreilles indiscrètes.

Ce serait le bouquet si les juges l’accusaient, en plus, de s’être associé à des elfes noirs ! Si toutefois cela changeait quelque chose. Après un nouveau coup de poing, le geôlier s’empara de son fouet pour faire apparaître quelques sillons supplémentaires dans le dos du voleur.

Morik savait que son sort serait scellé, de la façon la plus douloureuse qui soit, si ces drows n’intervenaient pas.

 

* * *

 

Robillard ne s’était absenté que peu de temps mais, quand il regagna la pièce où Deudermont était soigné, il y trouva une demi-douzaine de prêtres s’activant sur le capitaine. Camerbunne se tenait à l’écart et dirigeait ses collègues.

— Il est brûlant, expliqua-t-il.

Sans même s’être approché du blessé, Robillard comprit que tel était le cas ; Deudermont, fiévreux, avait pris un teint inquiétant et de longs filets de sueur s’écoulaient sur son visage. Le magicien remarqua également que la pièce s’était refroidie, puis il devina que deux prêtres étaient occupés à lancer des sorts destinés à créer du froid et non à guérir.

— Je possède des sorts similaires, proposa-t-il. De puissants enchantements notés sur des parchemins, à bord de l’Esprit follet de la mer. Peut-être vaudrait-il mieux pour mon capitaine que vos prêtres puissent se concentrer sur la guérison ?

— Dépêchez-vous ! lui répondit Camerbunne.

Robillard fit mieux que cela et ouvrit une série de portails dimensionnels qui lui permirent de se trouver à bord de l’Esprit follet de la mer en quelques instants. Il fouilla parmi ses nombreux ingrédients, manuscrits, objets magiques et œuvres d’art qu’il comptait enchanter quand il en aurait le temps, et dénicha enfin un parchemin sur lequel étaient notés trois sorts capables de faire apparaître de la glace, ainsi que les ingrédients nécessaires. Tout en se maudissant de ne pas s’être mieux préparé et en se jurant que dès le lendemain il consacrerait son énergie magique à mémoriser de tels sorts, Robillard regagna la chapelle. Les prêtres s’agitaient toujours autant, tandis que la vieille femme spécialiste des herbes étalait un baume crémeux et blanc sur le torse humide de Deudermont.

Robillard prépara les composants de ses sorts – une fiole de sang de troll des glaces et un morceau de fourrure d’ours blanc – et déroula son parchemin sur une petite table. Se forçant à ne pas regarder son capitaine qui agonisait, il se concentra sur sa tâche et, avec une discipline que seuls les magiciens savaient suivre, il se mit au travail, prononçant à voix basse une incantation tout en agitant doigts et mains. Il versa le sang de troll des glaces froid sur son pouce et son index, puis il serra le morceau de fourrure entre ces deux doigts et souffla dessus, une fois, deux fois, trois fois, avant de le jeter par terre, au pied d’un mur de la pièce. De petits claquements se firent entendre et des grêlons apparurent sur le sol, de plus en plus gros, si bien que, quelques instants plus tard, l’on étendit le capitaine Deudermont sur un nouveau lit, un immense bloc de glace.

— Le moment est critique, dit Camerbunne. Sa fièvre est trop intense, je crains qu’il en meure. Le sang qu’il perd est aussi fluide que de l’eau. D’autres prêtres attendent que je leur dise d’intervenir, quand ceux-ci auront épuisé leurs sorts de guérison, et j’en ai aussi envoyé chercher de l’aide auprès d’autres chapelles, même celles qui vénèrent des dieux rivaux. (L’expression de surprise qu’afficha Robillard fit sourire Camerbunne.) Ils viendront. Ils viendront tous.

Robillard n’était pas quelqu’un de religieux, notamment parce qu’à l’époque où il avait tenté de trouver un dieu qui corresponde à son cœur il avait été affligé par les incessantes chamailleries et rivalités qui existaient entre les différentes Églises. Il comprenait ainsi à sa juste valeur le geste de Camerbunne, véritable compliment adressé au capitaine. Deudermont s’était bâti une telle réputation parmi les honnêtes gens du nord de la côte des Épées que tous mettaient de côté leurs rivalités et leur animosité afin de s’unir pour son bien.

Comme l’avait promis Camerbunne, ils répondirent tous à son appel ; des prêtres issus de presque toutes les confessions de Luskan entrèrent par groupes de six pour déverser leur énergie bienfaisante sur le capitaine agonisant.

La fièvre du blessé tomba vers minuit. Il ouvrit un œil épuisé et vit Robillard endormi contre le lit, la tête reposant sur ses bras croisés, juste à côté de lui.

— Combien de jours ? demanda le capitaine affaibli.

Il avait en effet deviné que quelque chose n’allait pas, qu’il se passait quelque chose d’inhabituel, comme s’il s’éveillait d’un long et terrible cauchemar. D’autre part, même s’il était enveloppé dans un drap, il comprit qu’il n’était pas allongé sur un lit ordinaire ; celui-ci était trop dur et son dos était trempé.

Robillard sursauta, les yeux écarquillés, quand il entendit son supérieur s’exprimer. Il posa aussitôt la main sur le front du malade et son sourire s’élargit nettement ; Deudermont n’était plus brûlant au toucher.

— Camerbunne ! appela-t-il, ce qui provoqua un regard étonné de la part du capitaine, perplexe.

Robillard n’avait jamais vu de plus beau spectacle.

 

* * *

 

— Trois tours, dit d’une voix nasale Jharkheld, le juge, un affreux et maigre vieillard qui prenait bien trop de plaisir à s’occuper des gens comme Morik.

Il descendait chaque jour dans les grottes du donjon pour désigner les malheureux pour qui l’heure était venue de subir le Carnaval du Prisonnier. Il précisait également, en fonction de l’atrocité de leurs crimes, ou peut-être plus simplement de son humeur, la période de préparation requise pour chacun d’entre eux. Un « tour », d’après le geôlier qui frappait régulièrement Morik, correspondait au temps nécessaire pour parcourir en marchant lentement le tour de la place où se tenait le Carnaval du Prisonnier. Ainsi, l’homme à qui Jharkheld venait de donner trois tours serait mené sur la place et torturé de diverses façons durant environ une heure et demie, ce avant même que Jharkheld commence l’audience publique. Morik avait compris que cette méthode avait pour but d’exciter la foule, or ce vieux débris de Jharkheld adorait être acclamé.

— Te voici revenu pour me frapper, dit le voleur quand le geôlier brutal survint dans la grotte naturelle où il était enchaîné contre une paroi. Le saint homme ne t’accompagne pas ? Ni le juge ? Va-t-il nous rejoindre pour me condamner au Carnaval ?

— Pas de coups aujourd’hui, Morik le Rogue, lui répondit son tortionnaire attitré. Ils n’attendent plus rien de toi. Le capitaine Deudermont n’a plus besoin de toi.

— Il est mort ? demanda le prisonnier, incapable de dissimuler une légère inquiétude.

Si Deudermont était mort, Wulfgar et Morik seraient officiellement accusés de meurtre. Le voleur vivait depuis suffisamment longtemps à Luskan pour avoir assisté à bon nombre d’exécutions de condamnés accusés d’un tel crime ; ces tortures mortelles duraient au moins une bonne partie de la journée.

— Non, répondit le geôlier, sur un ton qui trahissait une certaine déception. Non, on n’a pas cette chance. Deudermont est en vie et va beaucoup mieux. Wulfgar et toi serez donc sans doute tués rapidement.

— Quelle joie d’apprendre ça…

Le demi-orque se tut quelques instants et regarda autour de lui, puis s’approcha de Morik, qu’il frappa d’une série de coups dans l’estomac et sur le torse.

— Je pense que le juge Jharkheld t’enverra bientôt au Carnaval, dit-il. Je voulais juste te faire mes adieux.

— Merci beaucoup, répondit Morik, toujours aussi sarcastique, ce qui lui valut un crochet du gauche qui lui arracha une dent et lui remplit la bouche de sang chaud.

 

* * *

 

Deudermont reprenait si vite des forces que les prêtres avaient du mal à le convaincre de rester allongé. Ils priaient encore, lui offrant leurs sorts de guérison, quand la vieille guérisseuse les rejoignit, munie de d’une théière et d’un nouveau baume apaisant.

— Wulfgar n’est certainement pas coupable, protesta le capitaine à l’intention de Robillard, qui lui avait relaté la totalité des événements intervenus depuis l’agression qui avait manqué de peu de tourner à la tragédie, à l’extérieur du Coutelas.

— Wulfgar et Morik, répéta avec fermeté le magicien. Je les ai vus, capitaine, heureusement pour vous !

— Cela n’a aucun sens à mes yeux, insista Deudermont. Je connais Wulfgar.

— Vous le connaissiez, rectifia Robillard.

— C’est un ami de Drizzt et Catti-Brie, et nous savons tous les deux qu’ils ne se seraient jamais attachés à un assassin… sans le tuer, j’entends.

— Il était leur ami. Wulfgar fréquente aujourd’hui des individus tels que Morik le Rogue, voyou des rues bien connu, ainsi que deux autres malfrats encore plus redoutables, il me semble.

— Deux autres ? s’étonna Deudermont.

C’est alors que Waillan Micanty et un autre membre de l’Esprit follet de la mer firent leur entrée dans la pièce. Ils se dirigèrent tout d’abord vers le capitaine, qu’ils saluèrent en s’inclinant, leurs visages illuminés d’un large sourire car leur chef semblait en meilleure forme encore qu’un peu plus tôt dans la journée, quand tout l’équipage avait accouru après un appel enthousiaste de Robillard.

— Les avez-vous retrouvés ? demanda ce dernier avec impatience.

— Je crois que oui, répondit Waillan, rayonnant. Ils se cachent dans la cale d’un navire amarré à seulement deux places de l’Esprit follet de la mer.

— Ils n’en sont pas sortis récemment, ajouta l’autre marin. Nous avons parlé avec quelques clients du Coutelas qui pensent connaître ces deux gaillards et d’après qui le pirate borgne dépense des pièces d’or sans compter.

Robillard hocha la tête avec un air entendu ; il s’agissait bien d’une agression commanditée et ces deux individus y avaient tenu un rôle.

— Avec votre permission, capitaine, j’aimerais éloigner l’Esprit follet de la mer des quais, dit-il. (Ne voyant pas où voulait en venir son magicien, Deudermont le gratifia d’un regard étonné.) J’ai envoyé M. Micanty à la recherche de deux autres complices de l’attentat dont vous avez été victime. Apparemment, nous venons de les localiser.

— Mais M. Micanty vient de dire qu’ils étaient à quai.

— Ils ont pris place en tant que passagers payants à bord de la Dame aux jambes arquées. Son équipage nous cédera sans doute nos deux hommes sans combattre si je positionne l’Esprit follet de la mer juste derrière ce bâtiment, toutes armes apprêtées.

Deudermont parvint à émettre un gloussement.

— J’aimerais bien me joindre à vous, dit-il.

Ses trois subordonnés prirent ces mots comme un accord et se dirigèrent aussitôt vers la porte.

— Qu’en est-il du juge Jharkheld ? reprit-il avant le départ de ses marins.

— Je lui ai demandé de suspendre les tortures infligées aux deux prisonniers, comme vous l’avez demandé, répondit Robillard. Nous aurons besoin d’eux pour confirmer la participation des deux autres.

Deudermont acquiesça et congédia le trio d’un geste avant de se plonger dans ses pensées. Il ne croyait toujours pas à l’implication de Wulfgar, même s’il n’avait aucune idée de la façon de le prouver. À Luskan, comme dans la plupart des cités de Faerûn, le simple soupçon d’activité criminelle suffisait à condamner un accusé à la pendaison, l’écartèlement ou toute autre mise à mort déplaisante que pouvait imaginer le magistrat en chef.

 

* * *

 

— Je suis un honnête marchand, vous ne pouvez pas affirmer le contraire ! affirma le capitaine Pinnickers, de la Dame aux jambes arquées.

Penché par-dessus le bastingage de son bâtiment, il protestait contre l’imposant déploiement de catapultes et d’archers de l’Esprit follet de la mer.

— Comme je vous l’ai déjà dit, capitaine Pinnickers, nous n’en voulons ni à votre vaisseau ni à vous-même mais à deux de vos passagers, répondit Robillard avec un respect de convenance.

— Bah ! Dégagez ou j’appelle les gardes de la cité ! rétorqua le vieux loup de mer coriace.

— Ce ne sera pas difficile, ironisa le magicien, désignant le quai, de l’autre côté de la Dame aux jambes arquées.

Le capitaine Pinnickers se retourna et aperçut une bonne centaine de soldats de la ville, alignés sur la jetée, le visage sinistre, prêts à livrer combat.

— Vous n’avez nulle part où fuir ou vous cacher, reprit Robillard. Je vous demande de nouveau votre accord, par courtoisie à votre égard. Dans votre propre intérêt, autorisez-nous, mon équipage et moi-même, à monter à bord de votre navire pour y trouver les hommes que nous recherchons.

— Mon navire ! dit Pinnickers, un doigt pointé sur sa poitrine.

— Sans quoi j’ordonne à mes hommes de lancer l’assaut, lança Robillard, dressé de façon impressionnante sur la rambarde de l’Esprit follet de la mer et ayant laissé de côté toute politesse. J’y ajouterai des sorts de destruction dont vous n’avez pas idée, après quoi nous fouillerons nous-mêmes votre épave.

Pinnickers, s’il parut quelque peu se ramasser sur lui-même, parvint à conserver une expression sévère et déterminée.

— Je vous laisse une dernière fois le choix, poursuivit Robillard, avec de nouveau ce ton moqueur faussement poli.

— Merveilleux…, grommela Pinnickers, qui, d’un geste d’impuissance, indiqua à Robillard et ses hommes qu’ils pouvaient monter à bord de son vaisseau.

Ils dénichèrent en très peu de temps le Requin et Tia-nicknick, que le magicien n’eut aucune difficulté à identifier. Ils mirent également la main sur un tube creux, objet intéressant, sur une poutre, non loin de l’homme-bête tatoué.

— Une sarbacane, dit Waillan Micanty en le présentant à Robillard.

— En effet, répondit ce dernier, qui, en l’examinant, eut tôt fait de confirmer l’usage de cette arme exotique. Que peut-on lancer avec ça ?

— De petits projectiles dont une extrémité est effilée de façon à entièrement combler le tube, expliqua Micanty, qui, pinçant les lèvres, souffla dans l’arme. Cette sarbacane ne fonctionnerait pas correctement si trop d’air s’échappait autour de la fléchette.

— Petits, dis-tu ? Comme une griffe de chat ? Avec un bout flexible et paré d’une plume, par exemple ?

Suivant le regard du magicien, qui observait les prisonniers, Waillan Micanty acquiesça, la mine sinistre.

 

* * *

 

Wulfgar était perdu, quelque part au-delà de la douleur, mollement suspendu par ses poignets menottés, aussi ensanglantés que déchiquetés. Les muscles du dos et du cou depuis longtemps tétanisés, il n’aurait pu que s’écrouler au sol si on l’avait relâché.

La douleur, trop intense, l’avait libéré de sa prison du moment mais, hélas pour lui, cette évasion ne l’avait conduit que vers un autre lieu de détention, un endroit plus noir encore, de très loin, et où il subissait des tortures qui dépassaient tout ce que les mortels pouvaient lui infliger. Des succubes, nus, tentants et affreusement superbes, voletaient autour de lui, tandis que l’immense glabrezu aux bras équipés de pinces le harcelait sans cesse, arrachant des parties de son corps l’une après l’autre, tout cela sous le rire démoniaque et permanent d’Errtu le conquérant ; Errtu, le grand balor qui haïssait Drizzt Do’Urden plus que tout autre mortel et déversait continuellement cette rage sur Wulfgar.

— Wulfgar ?

Cette voix, qui provenait de très loin, n’était pas gutturale et agressive, comme celle d’Errtu, mais douce et bienveillante.

Wulfgar connaissait ce piège, les faux espoirs et l’amitié simulée. Errtu le lui avait tendu à d’innombrables reprises alors qu’il avait sombré dans le désespoir. Cela le sortait du fond de ces vallées émotionnelles pour mieux le lâcher dans des dépressions plus profondes encore.

— J’ai parlé à Morik, dit la voix, que Wulfgar n’écoutait plus. Il clame votre innocence. (Malgré les soupirs dubitatifs poussés par Robillard, à ses côtés, Deudermont poursuivit :) Pourtant, le Requin vous accuse tous les deux.

Alors qu’il essayait de n’accorder aucune attention à ces mots, Wulfgar laissa échapper un grognement sourd, certain qu’il s’agissait d’Errtu, revenu le torturer.

— Wulfgar ? insista Deudermont.

— C’est inutile, lâcha catégoriquement Robillard.

— Aide-moi, mon ami, poursuivit le capitaine, lourdement appuyé sur une canne, n’ayant pas encore, loin de là, récupéré l’intégralité de ses forces. Dis-moi un mot qui me confirme ton innocence afin que je puisse ordonner au juge Jharkheld de te libérer.

Aucune réponse ne vint interrompre le grondement continu.

— Dis-moi la vérité, tout simplement. Je ne crois pas que tu sois impliqué mais je dois l’entendre de ta bouche si je veux exiger un procès équitable.

— Il ne peut pas vous répondre, capitaine, intervint Robillard. Il n’existe aucune vérité qui puisse le disculper.

— Tu as entendu Morik, répondit Deudermont.

Les deux hommes sortaient à l’instant de la cellule du voleur, qui avait assuré avec véhémence que Wulfgar et lui étaient innocents. Il avait expliqué que le Requin avait offert une forte somme pour la tête de Deudermont mais que Wulfgar et lui-même avaient refusé sans hésiter.

— Ce n’était qu’un tissu de mensonges, monté par un prisonnier désespéré, répondit Robillard.

— Il faudrait trouver un prêtre pour l’interroger. Ils sont nombreux à maîtriser des sorts capables de déceler la vérité.

— La loi de Luskan les interdit, dit le magicien. Trop de prêtres s’en serviraient selon leurs intérêts. Le juge privilégie sa façon – plutôt efficace – de mener les interrogatoires.

— Il torture les accusés jusqu’à les entendre admettre leur culpabilité, que ce soit la vérité ou non, précisa Deudermont.

— Il obtient des résultats, dit Robillard en haussant les épaules.

— Il fournit de quoi faire tourner son Carnaval.

— Combien de victimes du Carnaval sont innocentes, d’après vous, capitaine ? Même ceux qui n’ont pas commis le crime qui les y a conduits sont sans aucun doute responsables de nombreuses autres atrocités.

— C’est une façon assez cynique de voir la justice, mon ami.

— C’est la réalité.

Deudermont poussa un soupir et se retourna vers Wulfgar, attaché, grognant et refusant de se dire innocent, refusant de prononcer le moindre mot. Il l’appela encore et alla jusqu’à lui donner une légère tape sur le flanc.

— Tu dois me donner une raison de croire Morik, lui dit-il.

Wulfgar sentit le toucher rassurant d’un succube, qui cherchait à l’attirer dans un enfer émotionnel. Avec un rugissement, il se déhancha et donna un coup de pied, qui ne fit qu’effleurer le capitaine. Surpris, ce dernier bascula tout de même en arrière et tomba à terre.

Robillard envoya aussitôt une boulette collante de sa baguette en direction des jambes de Wulfgar, qu’il cloua ainsi contre la paroi. Le géant commença à se débattre sauvagement mais, avec les poignets solidement maintenus et les jambes plaquées contre le mur, ses gestes ne firent rien d’autre qu’accentuer la douleur à hauteur des épaules.

Le magicien s’approcha de lui, sifflant et ricanant, et se mit à murmurer une incantation. Il empoigna l’entrejambe de Wulfgar et envoya une décharge électrique qui fit hurler de douleur le malheureux barbare.

— Non ! s’écria Deudermont, qui luttait pour se rétablir. Arrête !

Après une dernière torsion de la main, Robillard se retourna, le visage déformé par la haine.

— Vous faut-il d’autres preuves, capitaine ?

Deudermont voulut répliquer quelque chose mais ne trouva rien à redire à cela.

— Partons d’ici, lâcha-t-il finalement.

— Nous aurions mieux fait de ne pas venir du tout, marmonna Robillard.

Wulfgar se retrouva de nouveau seul, moins gêné par son poids car la matière visqueuse qui emprisonnait ses jambes le soutenait quelque peu. Cet effet ne tarda toutefois pas à se dissiper et il fut bientôt suspendu aux seules menottes, les muscles contractés sous ce nouvel afflux de douleur. Il sombra ailleurs, plus profondément et dans un abîme plus sombre encore que le précédent.

Il voulait se noyer dans une bouteille, il avait besoin du liquide brûlant pour libérer son esprit de ses souffrances.

L'Épine Dorsale du Monde
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